
Le refus d’inscription en doctorat constitue une décision administrative lourde de conséquences pour les étudiants concernés, mettant souvent fin à des projets professionnels longuement mûris. Lorsque ce refus repose sur des motifs discutables, il devient nécessaire d’examiner les voies de recours disponibles. La jurisprudence française reconnaît progressivement le droit des étudiants à contester ces décisions, transformant ce qui était autrefois considéré comme un pouvoir discrétionnaire des établissements en un acte administratif susceptible de contrôle juridictionnel. Cette évolution reflète la tension entre l’autonomie des universités et les droits fondamentaux des étudiants, tout en soulevant des questions sur l’accès à l’enseignement supérieur et la liberté de recherche.
Le cadre juridique du refus d’inscription en doctorat
Le doctorat représente le plus haut diplôme de l’enseignement supérieur français, régi principalement par l’arrêté du 25 mai 2016 fixant le cadre national de la formation et les modalités conduisant à la délivrance du diplôme national de doctorat. Ce texte fondamental précise les conditions d’accès et d’inscription au troisième cycle universitaire, sans pour autant garantir un droit automatique à l’inscription.
L’inscription en doctorat s’articule autour d’une relation triangulaire entre le candidat, le directeur de thèse potentiel et l’école doctorale. L’article L. 612-6 du Code de l’éducation stipule que « l’admission en deuxième cycle est ouverte aux titulaires des diplômes sanctionnant les études de premier cycle ainsi qu’à ceux qui peuvent bénéficier de l’article L. 613-5 ou des dérogations prévues par les textes réglementaires ». Cette disposition s’applique par extension au troisième cycle, rendant l’admission conditionnelle mais encadrée.
La jurisprudence administrative a progressivement défini les contours du pouvoir d’appréciation des établissements. L’arrêt du Conseil d’État du 10 février 1995 (n° 147378) a posé un principe fondamental : si l’université dispose d’un pouvoir d’appréciation pour l’admission en troisième cycle, ce pouvoir n’est pas discrétionnaire et doit s’exercer dans le respect des textes et principes généraux du droit.
Les motifs légitimes de refus peuvent inclure :
- L’insuffisance du niveau académique antérieur
- L’inadéquation entre le projet de recherche et les axes de l’école doctorale
- L’absence de directeur de thèse compétent dans le domaine
- Le manque de financement pour la durée du doctorat
Toutefois, ces critères doivent être appliqués de manière objective et proportionnée. La Cour Administrative d’Appel de Paris, dans un arrêt du 7 mars 2017 (n° 15PA02809), a rappelé que le refus doit être motivé par des considérations pédagogiques ou scientifiques, et non par des motifs étrangers à l’appréciation des mérites du candidat.
L’obligation de motivation des décisions administratives, issue de la loi du 11 juillet 1979, s’applique pleinement aux refus d’inscription en doctorat. Cette obligation constitue une garantie fondamentale pour les candidats, leur permettant de comprendre les raisons du refus et d’envisager un recours si ces raisons paraissent discutables.
Les motifs discutables de refus et leur contestation
La frontière entre un refus légitime et un refus discutable d’inscription en doctorat peut s’avérer ténue. Certains motifs, bien que présentés comme objectifs, dissimulent parfois des considérations subjectives ou arbitraires qui fragilisent la décision sur le plan juridique.
Parmi les motifs fréquemment contestés figurent les appréciations vagues sur la « qualité insuffisante » du projet de recherche. La jurisprudence exige que cette évaluation repose sur des critères précis et vérifiables. Dans l’arrêt TA de Strasbourg du 14 janvier 2016 (n° 1406350), le juge a annulé un refus fondé sur une appréciation générale sans éléments concrets d’évaluation.
Les conflits d’intérêts constituent un autre terrain fertile pour les refus contestables. Lorsqu’un directeur de thèse potentiel refuse d’encadrer un doctorant pour des raisons personnelles ou en raison d’une concurrence scientifique, le refus peut être entaché d’illégalité. Le Conseil d’État a ainsi jugé dans sa décision du 15 décembre 2010 (n° 333413) qu’un refus motivé par des considérations étrangères aux capacités académiques du candidat constituait un détournement de pouvoir.
La discrimination, qu’elle soit fondée sur l’origine, le genre ou les opinions politiques du candidat, représente un motif particulièrement grave de contestation. La loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 prohibe toute discrimination dans l’accès à la formation, y compris doctorale. Le Défenseur des droits peut être saisi dans ces situations et dispose de pouvoirs d’investigation significatifs.
Face à un refus potentiellement discutable, plusieurs voies de contestation s’offrent au candidat :
- Le recours gracieux auprès du président de l’université ou du directeur de l’établissement
- Le recours hiérarchique auprès du recteur d’académie ou du ministre de l’Enseignement supérieur
- La saisine du médiateur académique pour tenter une résolution amiable du litige
- Le recours contentieux devant le tribunal administratif
La stratégie contentieuse doit être soigneusement élaborée. Le recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif doit être introduit dans un délai de deux mois à compter de la notification du refus. L’argumentation juridique peut s’appuyer sur différents moyens : vice de forme (défaut de motivation), erreur de droit (mauvaise application des critères d’admission), erreur manifeste d’appréciation, ou détournement de pouvoir.
Le référé-suspension peut constituer une arme efficace pour le candidat, permettant de suspendre provisoirement la décision de refus dans l’attente d’un jugement au fond, à condition de démontrer l’urgence et un doute sérieux quant à la légalité de la décision.
L’analyse de la jurisprudence : évolutions et tendances
L’examen de la jurisprudence relative aux refus d’inscription en doctorat révèle une évolution progressive vers un contrôle juridictionnel plus approfondi. Cette tendance reflète la reconnaissance croissante du droit à la formation doctorale comme composante du droit à l’éducation.
La décision fondatrice du Conseil d’État du 28 septembre 1998 (n° 159236, Université Paris VI) a établi que les décisions d’admission en troisième cycle universitaire constituaient des actes administratifs susceptibles de recours. Cette jurisprudence a ouvert la voie à un contentieux plus structuré, permettant aux candidats éconduits de faire valoir leurs droits.
L’intensité du contrôle juridictionnel s’est renforcée au fil des années. Initialement limité à un contrôle restreint de l’erreur manifeste d’appréciation, le juge administratif exerce désormais un contrôle normal sur certains aspects des décisions de refus. Dans l’arrêt du Conseil d’État du 17 juillet 2013 (n° 362481), les juges ont examiné en détail les motifs scientifiques invoqués pour refuser une inscription, marquant une évolution significative.
La question des financements doctoraux a fait l’objet d’une attention particulière. Si l’absence de financement peut justifier un refus, la CAA de Versailles, dans un arrêt du 12 mars 2019 (n° 17VE00356), a jugé qu’une université ne pouvait refuser l’inscription d’un doctorant au seul motif qu’il ne bénéficiait pas d’un financement dédié, dès lors qu’il justifiait de ressources suffisantes pour mener à bien son projet.
Les cas emblématiques
Certaines affaires ont marqué l’évolution du droit applicable. L’arrêt TA de Lyon du 5 avril 2018 (n° 1608830) a reconnu l’illégalité d’un refus fondé sur des considérations subjectives relatives à la « personnalité » du candidat, sans lien avec ses capacités académiques. Cette décision illustre les limites du pouvoir d’appréciation des établissements.
Dans une autre affaire (CAA de Marseille, 9 mai 2017, n° 15MA03661), la cour a sanctionné une université qui avait refusé une inscription en invoquant l’absence de directeur de thèse disponible, alors que le candidat avait déjà obtenu l’accord d’un enseignant-chercheur habilité. Cette jurisprudence souligne l’obligation pour les établissements de motiver précisément leurs refus.
Plus récemment, le TA de Paris (22 novembre 2021, n° 2012507) a annulé un refus d’inscription fondé sur la « saturation » des capacités d’encadrement, considérant que l’université n’apportait pas d’éléments objectifs démontrant cette saturation. Cette décision témoigne de l’exigence croissante de justifications concrètes.
Ces évolutions jurisprudentielles dessinent progressivement un droit à l’inscription en doctorat, certes conditionnel, mais de moins en moins soumis à l’arbitraire des établissements. Le juge administratif, tout en reconnaissant l’autonomie des universités, tend à protéger les droits des candidats contre les décisions insuffisamment motivées ou fondées sur des critères discutables.
Les spécificités des recours selon les disciplines et contextes
La contestation d’un refus d’inscription en doctorat présente des particularités qui varient sensiblement selon les disciplines académiques et les contextes institutionnels. Ces spécificités influencent tant la nature des motifs invoqués que les stratégies de recours à privilégier.
Dans les disciplines scientifiques expérimentales (biologie, chimie, physique), les refus sont souvent liés à des questions de ressources matérielles. L’accès aux équipements de laboratoire et aux financements spécifiques peut constituer un frein objectif. Toutefois, comme l’a rappelé le TA de Montpellier (jugement du 3 février 2020, n° 1805234), l’université doit démontrer précisément l’impossibilité matérielle d’accueillir le doctorant, et non se contenter d’allégations générales sur ses contraintes budgétaires.
Les sciences humaines et sociales connaissent des problématiques différentes. Le caractère plus théorique des recherches et la moindre dépendance aux infrastructures matérielles rendent plus difficile la justification des refus sur des bases objectives. Dans un arrêt remarqué, la CAA de Bordeaux (15 novembre 2016, n° 14BX03146) a annulé le refus d’inscription d’un candidat en philosophie, considérant que l’appréciation portée sur l’originalité de son projet relevait d’un jugement de valeur insuffisamment étayé.
Les écoles doctorales pluridisciplinaires présentent des défis particuliers. La jurisprudence montre que les commissions d’admission doivent réunir des compétences adaptées au projet évalué. Dans une décision du TA de Nancy (7 mars 2019, n° 1702834), le juge a sanctionné une école doctorale qui avait rejeté un projet interdisciplinaire sans avoir consulté d’experts dans l’une des disciplines concernées.
Les particularités institutionnelles
Le statut de l’établissement influence la nature du contentieux. Les universités publiques, soumises pleinement au droit administratif, offrent un cadre de recours bien établi. En revanche, les établissements privés ou les grandes écoles jouissent parfois d’une marge de manœuvre plus grande dans leurs procédures de sélection.
Les cotutelles internationales de thèse ajoutent une couche de complexité. Lorsqu’un refus intervient dans ce cadre, la question du droit applicable et de la juridiction compétente peut se poser. Dans une affaire tranchée par le Conseil d’État (18 mai 2018, n° 416664), les juges ont considéré que le refus émanant de la partie française d’une cotutelle relevait bien du juge administratif français, indépendamment des procédures engagées à l’étranger.
Face à ces particularités, les stratégies de recours doivent être adaptées :
- Dans les disciplines expérimentales, exiger des preuves concrètes des contraintes matérielles alléguées
- En sciences humaines, contester les appréciations subjectives en sollicitant des expertises contradictoires
- Dans les projets interdisciplinaires, vérifier la composition des commissions d’évaluation
- Pour les cotutelles, identifier clairement l’autorité décisionnaire et le droit applicable
La médiation académique peut s’avérer particulièrement efficace dans certains contextes disciplinaires. Les médiateurs, souvent issus du monde universitaire, disposent d’une compréhension fine des enjeux propres à chaque discipline et peuvent faciliter un dialogue constructif avant l’engagement d’un contentieux formel.
Vers une reconnaissance du droit à la recherche : perspectives et recommandations
L’évolution du contentieux relatif aux refus d’inscription en doctorat s’inscrit dans un mouvement plus large de reconnaissance d’un véritable droit à la recherche. Cette notion émergente, à l’intersection du droit à l’éducation et de la liberté académique, pourrait transformer durablement le cadre juridique des études doctorales.
La Charte européenne du chercheur, adoptée par la Commission européenne en 2005, reconnaît que « les chercheurs en début de carrière devraient établir des relations structurées et régulières avec leurs directeurs de thèse » et bénéficier de conditions équitables d’accès à la formation. Ce texte, bien que non contraignant, inspire progressivement les juridictions nationales.
Le Conseil constitutionnel français, dans sa décision n° 2020-810 DC du 21 décembre 2020, a reconnu l’indépendance des enseignants-chercheurs comme principe fondamental, lequel implique nécessairement une certaine liberté dans le choix des thématiques de recherche. Par extension, cette jurisprudence pourrait fonder un droit d’accès aux formations doctorales pour les étudiants qualifiés.
Sur le plan pratique, plusieurs recommandations peuvent être formulées pour les candidats confrontés à un refus d’inscription :
- Solliciter systématiquement une motivation écrite détaillée du refus
- Constituer un dossier solide incluant les avis favorables d’universitaires reconnus dans le domaine
- Explorer les possibilités de médiation avant d’engager un recours contentieux
- Rechercher des précédents jurisprudentiels spécifiques à la discipline concernée
- Envisager, le cas échéant, une reformulation du projet pour répondre aux objections formulées
Les établissements universitaires gagneraient quant à eux à adopter des procédures plus transparentes, incluant :
- La publication de critères d’admission clairs et objectifs
- La mise en place de commissions d’évaluation pluridisciplinaires
- L’instauration de voies de recours internes structurées
- La motivation circonstanciée de chaque décision de refus
À l’échelle systémique, plusieurs réformes pourraient renforcer les droits des candidats au doctorat :
La création d’une instance nationale de recours spécialisée, sur le modèle de ce qui existe dans certains pays européens comme la Suède, permettrait d’harmoniser les pratiques et d’offrir une voie de contestation plus accessible que le recours juridictionnel.
L’inscription explicite dans le Code de l’éducation d’un droit conditionnel à l’inscription en doctorat clarifierait le cadre juridique applicable et réduirait l’insécurité juridique actuelle.
Le développement de programmes doctoraux alternatifs, notamment en formation continue ou à distance, pourrait élargir les possibilités d’accès au troisième cycle pour des profils diversifiés.
La reconnaissance du droit à la recherche s’inscrit dans une vision de l’université comme espace de liberté intellectuelle et d’innovation. Au-delà des considérations juridiques, c’est l’avenir même de la production scientifique qui est en jeu dans l’accès au doctorat. Comme l’a souligné le Conseil d’État dans un avis du 30 mars 2021, « la liberté de recherche constitue une garantie fondamentale tant pour les chercheurs que pour la société dans son ensemble ».
En définitive, le contentieux des refus d’inscription en doctorat révèle les tensions inhérentes au système universitaire contemporain, entre sélectivité nécessaire et égalité d’accès, entre autonomie des établissements et droits des étudiants. La construction progressive d’un droit à la recherche représente une voie prometteuse pour résoudre ces contradictions, en faveur d’une université plus ouverte et plus juste.